Prendre le temps, par Debbie Lynch-White

texte Debbie Lynch-White  Photo Julie Artacho



Nous sommes collectivement confrontés présentement à une grande question qui habite mon confinement depuis quelques jours : De quoi nous sommes-nous remplis au fil des années pour nous permettre d’être bien seuls ?

Est-ce que j’ai trop orienté mes choix et dirigé mes actions vers les autres, pour les autres, pour leur faire plaisir, par peur de déplaire, pour avoir l’approbation d’autrui, pour me sentir utile ou pour me sentir aimée en négligeant la façon dont j’ai pris soin de moi, de mon moral, de ma santé mentale, de mon intériorité, de mon âme, de mes passions, du temps consacré à moi de moi ?

Est-ce que je me suis nourrie de rancune, de rancœur, de jalousie, d’envie, de colère, de jugement plutôt que de poésie, de petites victoires, de légèreté, d’amour, d’amitié, d’empathie et de confiance ?

Est-ce que je suis capable, un coup dénuée de surconsommation, de deadlines, de productivité, de gens à satisfaire, de patrons à impressionner et d’agendas surchargés, d’être bien avec un moi-même confiné, confrontée à voguer dans une nouvelle temporalité, un nouveau rythme qui bat la mesure autrement, plus lentement ? Ce nouvel état de latence qui me force à redéfinir mes paramètres me fait-il peur ? Comment est-ce que je vis avec l’incertitude? Ça m’excite ou ça m’angoisse ? Et pourquoi ? Les inquiétudes financières, sanitaires, humanitaires et planétaires actuelles me font découvrir une force insoupçonnée ou me décourage ? Est-ce que je trouve le temps long ou j’arrive à trouver qu’en bout de ligne les journées passent plus vite que je croyais ? C’est quoi la vie quand on n’a pas d’autres choix que de la vivre et de ressentir chaque seconde nous traverser les pores de peau ?

Qu’est-ce que ça veut vraiment dire l’expression « prendre le temps » ?

Prendre le temps de lire un livre sans penser à notre liste d’épicerie en même temps. Prendre le temps de regarder nos enfants jouer dans le bain sans répondre à un courriel sur notre cellulaire. Prendre le temps de planter ses semis, de les arroser chaque jour et d’observer la vie naître lentement. Prendre le temps de se parler, de se penser, de se retourner dans tous les sens et de se rêver dans un vrai moment présent au lieu d’un avenir inconnu.

Prendre le temps d’être lâche et de simplement regarder le ciel et les arbres par la fenêtre. C’est pas grave si tu rattrapes pas toutes les séries dont t’as entendu parler, si tu fais pas le grand ménage de tous tes garde-robes, si tu laves pas tes fenêtres, si tu fais pas ton workout tous les jours, si t’as pu d’inspiration d’activités à faire avec les enfants, si tu réussis pas à cocher tout ce que t’as mis sur ta to do list pour rendre ton confinement utile et efficace, si tu fait exploser la limite de temps d’écran que tu t’étais juré de respecter, si tu prends du poids, si tu bois un peu plus d’alcool que d’habitude pis si tu te sens vedge. C’est. Pas. Grave. T’as le droit d’être vedge. T’as le droit d’arrêter de te mettre de la pression. De prendre le temps de faire du pain ou des biscuits et de les regarder lever assis devant le four comme quand on était petits. Prendre le temps d’appeler ton ami ou ton grand-père pour ventiler ou juste dire des niaiseries. Prendre le temps de te faire des tresses. Prendre le temps d’être improductif. Prendre le temps de dessiner un arc-en-ciel en te disant, entre deux coups de crayon, que ça va bien aller.

Prendre le temps d’écouter de la musique que t’aime, de t’asseoir sur ton balcon, de fermer les yeux et de sentir la chaleur du soleil sur ton visage. Prendre le temps de faire des siestes ou de connaître tes voisins à deux mètres de distance. Prendre le temps de faire uniquement les choses qui te font du bien.

Bref, prendre le temps de prendre le temps dans sa vraie définition, pas dans la conception effrénée qu’on en avait peut-être avant des fois. Et de se remplir de doux, de bon, de bienveillance, d’empathie, de vrais contacts humains sans distractions, sans interférences, yeux dans les yeux et cœur-à-cœur.

Pis on pourra peut-être enfin comprendre de quoi on s’est remplis et de quoi on peut se remplir pour savoir être bien dans presque rien.

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