Noël avec pas de monde, par Charles Gravel



Mon Noël, c’est avec pas de monde; pas d’amis, pas de famille non plus. Pas que j’haïs les humains, au contraire, mais vraiment, ce jour-là, c’est non! Avec pas d’alcool, non plus, pas de small talk (du genre Trump et ses tweets, la mort de la planète, le hijab, le système de santé, les LGBT, les accommodements, le Brexit, la CAQ, les vertus du kale), pas d’attentes, pas de grosse bouffe, pas de cadeaux – on donne quoi au juste à ceux dont les armoires, les sous-sols ou les garages débordent?

Je me suis juré, il y a plusieurs années, que je ne participerais plus jamais à ce zoo. Piger un nom, courir la ville pour dénicher et acheter LE cadeau (ou, pire, devoir le fabriquer), revoir son répertoire de blagues, inventer des jeux, créer un menu (végé? Carné? Froid? Chaud? Traditionnel? Bio? Local? Gluten? Céto? Et les allergies? Pas trop gras, pas trop salé, pas trop sucré, cela va sans dire), cuisiner comme un malade, hésiter, choisir, acheter du vin, idem pour le fromage tsé… Nooon!

Qui reçoit qui? Cette année, c’est tu notre tour? Le 24 ou le 25? Le midi ou le soir? On réveillonne-tu coudon? À quelle heure? Ouan, pis s’il neige? Si untel vient, moi, je te le dis, j’y vais pas. Faut-tu que je porte le chandail que ta mère m’a tricoté l’année passée? Pis la messe de minuit, on y va-tu cette année? Le beau-frère qui vient de se séparer vient-il avec sa nouvelle blonde? Qu’est-ce qu’on fait avec les grands-parents? Pis les enfants? Est-ce qu’on invite unetelle sachant que, le vin aidant, elle va pleurer sa vie de malheurs? C’est quoi déjà, les sujets tabous avec ton frère? Pis le dude, celui qui est LE spécialiste de TOUT (techno, politique, santé, automobile… oui, TOUT), et qui connaît TOUS les meilleurs deal en ville, qui ne parle qu’en termes de rapport qualité/prix…

Je le répète: plus jamais. Mon Noël à moi commence la veille, avec un souper «de semaine», genre lasagne ou pâté chinois, petite salade, biscuit, tisane. En soirée, une bonne série, un peu de lecture, long bain chaud, tisane, trois gouttes d’huile de lavande dans le diffuseur et hop, au dodo.

Oui, dodo tôt pour profiter pleinement du seul vrai beau cadeau de Noël que tout le monde peut s’offrir. Ça se passe autour de 7 ou 8 heures, le matin du 25 décembre, dehors, en ville, peu importe le temps qu’il fait. Oui, il faut sortir et là, pour peu qu’on soit un peu conscient du moment, le poids du silence, omniprésent, nous frappe, nous enveloppe; peut-être un petit crounch crounch des pas dans la neige, le bruit du vent. La solitude, les rues sans voitures, puis surtout, l’absence totale de remords, de lourdeurs, l’esprit clair, sans mal de tête, la certitude d’être bien, simplement bien, d’être tout là, vivant, à chaque instant, dans le vrai, pas dans le futur ni dans le passé. ICI, maintenant.

Penser à des vraies affaires, sentir, goûter la vie, penser à ceux que j’aime et qui m’aiment; laisser ma mémoire s’amuser à mes dépens – comme elle le fait toujours – en prenant le contrôle de mes pensées; répéter, comme des mantras, des belles phrases de mes auteurs préférés…

Nostalgique? Triste? Mélancolique? Tellement pas! Rarement dans une année, ai-je l’occasion de frôler d’aussi près ce qui, pour moi, correspond le plus au bonheur.

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Ce texte a d’abord été publié sur le site de Bloome magazine
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