La grossesse d’après, par Catherine Perron

Texte Catherine Perron   Photo d’ouverture Tricoté serré photographie



On dit d’un arc-en-ciel qu’il apparaît quand la lumière du soleil arrive à briller après le pluie. Pour ma famille et moi, ce symbole a changé notre vie.

Alors que j’étais déjà la maman heureuse de deux petits garçons (conçus par FIV, après plusieurs années d’essais infructueux) et enceinte d’une petite fille surprise, j’ai dû l’accoucher à 23 semaines de grossesse. Une parfaite petite fleur qu’on a bercée et câlinée pendant des heures et des heures, avant de lui dire au revoir.

Le pire moment de notre vie.

Quand une grossesse ne se termine par comme prévue et que, du jour au lendemain, on perd notre beau ventre gonflé sans avoir le bonheur de repartir avec notre nouveau-né, on souffre du syndrome des bras vides. Psychologiquement, physiquement et « hormonalement », on s’est préparée à prendre soin de notre bébé. Mais après l’accouchement, ce besoin vital n’est pas comblé.

On a non seulement à faire face à la perte de notre enfant, mais on doit aussi s’occuper de ce sentiment de vide envahissant et omniprésent. Et de ce mal et ce chagrin plus grand que nature.

Sans vouloir remplacer notre petit trésor devenu ange, la plupart des femmes vivant une situation semblable ressentiront le besoin de tomber enceinte à nouveau. Dans notre cas, comme notre fille était arrivée sans qu’on s’y attende, on ne savait pas si le miracle pouvait se reproduire plus d’une fois. Alors, le projet du prochain bébé, on l’espérait, on y rêvait, mais c’était plus comme une douce pensée qui nous aidait à avancer… et à survivre.

Et c’est par un matin de mai, que le petit + est apparu. 10 mois après le décès de notre fille. Les premières semaines se sont passées sur un petit nuage. Mais très vite, ce nuage s’est assombri et cette grossesse pourtant extrêmement désirée, est devenue très compliquée. En raison de quelques problèmes au niveau médical, et aussi, mais surtout, à cause de toute la sphère émotive qu’elle comportait. Je n’arrivais pas à en profiter. J’étais toujours anxieuse et craintive. À trop analyser ce qui serait susceptible d’arriver, j’en ai oublié d’être juste bien. J’avais perdu cette si agréable étincelle du bonheur simple et naïf. Je regardais ces mamans sur les médias sociaux qui arboraient fièrement leur bedaine et je les enviais.

Comme nous avons perdu notre fille en raison d’une malformation extrême au cœur, les tests et les échographies se sont enchaînés tout au long de ma grossesse afin de prendre toutes les précautions possibles. Mais la redoutable échographie cardiaque de Ste-Justine, elle m’effrayait plus que tout. La même salle d’attente, la même salle d’examen, mais cette fois-ci, un dénouement différent; notre bébé est en parfaite santé.

Et alors que je me réjouissais, une grande tristesse m’envahissait. J’aurais tant voulu me sentir heureuse et épanouie. Je n’y arrivais pas. Au fil des semaines, la situation ne s’est pas améliorée. Pour moi, ce bébé était comme un étranger et… je n’arrivais pas à m’attacher à lui…

« Une mère ne peut pas se permettre d’être malheureuse quand la vie lui envoie un aussi beau cadeau. »

« Une mère ne peut pas se demander si son coeur est assez grand pour en aimer un de plus. »

« Elle devrait se compter chanceuse d’être enceinte à nouveau. »

« Elle n’avait qu’à attendre plus longtemps avant d’entamer une nouvelle grossesse si elle ne s’en sentait pas capable. »

« Elle devrait penser à toutes ces femmes qui rêvent de tomber enceinte.»

Sans les entendre à haute voix, j’ai lu toutes ces pensées à travers les visages d’incompréhension ou les silences auxquels j’ai fait face au cours de ma grossesse lorsque j’osais exprimer mon sentiment. À ceux et celles qui ont eu certaines de ces réflexions, je vous répondrai que je vous comprends de les avoir eu. Elles me sont venues à l’esprit moi aussi. Mais je vous dirai aussi ceci: personne ne peut comprendre la souffrance d’un deuil périnatal à moins d’être passé par là. En pensant nous protéger, l’angoisse et la peur nous érigent les plus grandes barrières. Dans mon petit cocon, pendant un long moment, je me suis sentie très seule et fautive.

Je suis donc allée chercher de l’aide. Et j’ai eu la chance de croiser le chemin d’une personne bienveillante. Ensemble, on a essayé de recoller les morceaux. Et avec elle, j’ai réussi à comprendre et à me pardonner d’avoir eu ces pensées impensables.

J’ai compris que mon corps était prêt à avoir un autre enfant, mais que ma tête ne l’était pas tout à fait. Comme une gifle en plein visage, je réalisais que cette nouvelle grossesse, ce n’était pas celle de ma fille que je reprenais là où je l’avais laissée. C’en était une différente, mais pas moins spéciale et importante. Qu’un nouveau bébé allait faire son entrée dans nos vies. Et qu’il fallait célébrer sa venue.

J’ai donc tranquillement commencé à préparer son arrivée, à apprécier prendre des photos de ma belle bedaine, à chérir l’idée de m’occuper de ce petit être à venir et à prendre plaisir à annoncer notre heureuse nouvelle.

Et juste comme ça… par un soir de janvier, mon bébé arc-en-ciel, né après des jours de grandes tempêtes, est enfin arrivé et toutes mes craintes se sont envolées.

Il avait seulement quelques minutes, et déjà, on ne pouvait déjà plus se passer de lui.

L’amour que j’ai pour cet enfant est incommensurable. Je n’ai peut-être pas vécu la grossesse souhaitée et rêvée, mais je peux vous affirmer une chose; mon fils est la plus douce des caresses sur nos coeurs. Il m’a fait renouer avec ce merveilleux sentiment du bonheur pur… Je ne me souvenais plus ce que c’était. Avec lui, je redécouvre la joie pleine et immense de la maternité… et je la savoure. J’ai appris une nouvelle définition du mot amour.

N’allez pas croire qu’un nouveau bébé efface celui qui s’est envolé. Le deuil de ma fille, ce sera le travail d’une vie. Mais malgré la souffrance de sa perte, j’aime à penser que son passage dans nos vies, aussi bref fût-il, a fait de moi une maman plus attentionnée, plus patiente et plus complète. Elle m’aide à passer à travers les défis que la vie nous envoie avec force et résilience. Grâce à elle, je réalise plus que jamais que d’avoir des enfants en santé, c’est une bénédiction. Et quand je trouve mes journées bien chargées et que je me sens fatiguée, je me dis que c’est tout de même un précieux privilège que de pouvoir être parent. Pour moi, il n’y a pas de rôle plus merveilleux. Je suis reconnaissante d’avoir mes trois garçons dans les bras et je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour leur tricoter une belle vie.

Notre famille; avec nos trois garçons, Simon, Sébastien et Tristan, dans nos bras et notre fille Sydney, dans notre coeur.

Alors, chères mamanges qui avez vécu, vivez ou vivrez la « grossesse d’après » un deuil périnatal, soyez douces envers vous-mêmes. On en a déjà bien assez de gérer la culpabilité qui nous habite sans avoir à se soucier du jugement des autres. Respectez votre rythme! Vos sentiments contradictoires ne dictent pas qui vous êtes et ne sont pas le reflet de vos qualités de maman, ni de l’amour que vous donnerez à votre enfant.

Aujourd’hui, j’ai tout à fait compris ce que c’était qu’un bébé arc-en-ciel. Parce que depuis le moment où il est venu au monde, notre fils ne nous apporte que de la lumière et grâce à lui, je vois la vie avec toute sa belle palette de couleurs à nouveau. Et c’est ça, le bonheur!

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