Je n’ai jamais connu l’amour, par Rémi Bellerive

par Rémi Bellerive



Moi, Rémi Bellerive, 46 ans, je n’ai jamais connu l’amour… Ça frappe fort écrire cette simple phrase. Mais je ne veux pas faire pitié, car, ne vous y trompez pas, étant le dernier d’une famille de 10 enfants, dont certaines de mes sœurs qui ont été littéralement des deuxièmes mères, j’ai été, et je suis encore, très aimé.

Aimé d’elles, mais aussi de mes frères, beaux-frères, belles-sœurs en couple avec mes frères et sœurs depuis tellement longtemps que je ne me rappelle pas ma vie sans eux. Aimé de mes neveux, nièces, petits-neveux et nièces, amis et collègues.

Tous ne me le verbalisent peut-être pas de façon régulière, mais chacun d’eux me le fait sentir à sa manière et j’ai beaucoup de gratitude pour cela.

Je ne parle pas de cet amour-là ; je parle ici de l’amour avec un grand A. L’amour tendre, sain, simple, serein. L’amour qui met la solitude en punition, à genoux dans le coin, un après-midi calme et neigeux d’un dimanche froid de janvier.

L’amour qui donne des papillons, qui donne des ailes. L’amour qui rend le cœur léger… sûrement soulevé par les papillons et les ailes.

L’amour enveloppant de deux bras rassurant d’un être qui, sans dire un seul mot, crie haut et fort : « JE SUIS LÀ ET JE T’AIME ! ».

Mais pour ouvrir son cœur à cet amour, encore faut-il faire une brèche, aussi minime soit-elle, dans cette carapace que je traine depuis ma tendre enfance. En fait, non seulement j’ai une carapace, tel un tatou se sentant en danger, mais j’ai aussi les piquants d’un porc-épic en mode défense. J’ai un système de sécurité infaillible dont peu de gens ont la combinaison et dont je change le mot de passe régulièrement.

À 46 ans, sorti du placard à 24, très à l’aise avec mon orientation, je me surprends encore parfois à me dire que ça aurait été tellement plus simple d’être hétéro, d’aimer une femme, d’avoir des enfants, une vie « normale et standard », quoi !

Comprenez-moi bien : je ne suis pas malheureux d’être gai. Mais cette carapace et ces piquants, je me les suis fait dès mon plus jeune âge, dans une Abitibi où on ne parlait pas de l’homosexualité, où on faisait comme si ça n’existait pas. Pas la faute de personne, c’était comme ça, point. Dans ma famille, en tout cas. Un homme qui aime un autre homme ça ne se pouvait tout simplement pas. C’était mal vu, et par-dessus tout, ça rendait tout le monde mal à l’aise.

Résultat ? Dès l’âge de 10-11 ans, sachant que j’étais « comme ça » comme certain disaient, mon instinct de survie a carrément fait fausse route. Comme je savais au plus profond de ma conscience que je n’allais avoir ni femme, ni enfant, et bien, sans trop savoir pourquoi, l’enfant que j’étais s’est mis à se dire intérieurement que j’allais passer toute mon existence seul.

Pourquoi ? Aucune espèce d’idée. Ce n’est que des années plus tard que je me suis rendu compte que toute ma vie, je m’étais lancé ce mauvais sort totalement inconsciemment et, petit à petit, ma carapace s’est épaissit et mes piquants se sont allongés. Car pour être seul toute une vie, pour ne pas exposer sa vulnérabilité, il en faut, des protections.

Oui bien sûr, comme tous les adolescents et jeunes adultes, j’ai connu quelques amourettes ici et là, mais même aujourd’hui, quand ça m’arrive, tout de suite je me renferme dans ma carapace et je dresse mes piquants au cas où cette personne me ferait du mal. Et je change mon mot de passe.

Ceux qui me connaissent bien diront que c’est étrange pour un homme très émotif, démonstratif et hypersensible comme moi d’être aussi hermétique à ce sentiment si recherché par tous. Mais mon subconscient a fait une grave erreur et je dois y remédier. Je suis rendu à cette étape de ma vie.

En ce début d’année 2017, c’est ce que je me souhaite de tout cœur : déprogrammer cette fausse idée de mon cerveau, accrocher ma carapace et mes piquants et, le plus simplement du monde, donner le mot de passe de mon système de sécurité émotionnel à quelqu’un. Qui sait, peut-être qu’à la même date l’an prochain, je pourrai écrire :

Moi, Rémi Bellerive, 47 ans, je suis en amour…

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